Dans le temple parisien, il fait monter d’un cran la pression avec son groupe, The Electric Epic. L’aventure a commencé quelques mois plus tôt, et le buzz ne va désormais qu’enfler à mesure que l’attente de son premier disque se prolonge. Il faudra patienter jusqu’en 2012 pour qu’il parvienne enfin aux oreilles de tous, esbaudis par ce son hors norme.
A commencer par l’exigeant John Zorn, qui le décrit comme une « nucléaire d’émotions » et le publie sur son label, Tzadik.
Raccord, la presse est vite à l’unisson. A l’approche de ses 33 ans, le natif d’Annecy – un 21 juin 1980, comme un signe du destin ? – figure des faux airs de messie avec cette galette en forme d’ovni.
Elle va s’écouler d’ailleurs comme des petits pains auprès d’une communauté de convertis, conquis par cette formule, une fusion de tous les jazz, en fait sa vision du jazz : entre tourneries funky et harmonies plus abstraites, entre métal hurlant et souffle dominant, entre impressions d’Afrique rétro-futuriste et déviations post-psychédéliques… Et ainsi de suite.
Somme toute, un électro choc où s’entrechoquent toutes les influences qui ont nourri le compositeur, toutes les expériences qui ont pétri le saxophoniste depuis qu’il est apparu dans la jazzosphère, à l’orée du millénaire.
En une dizaine d’années, Guillaume Perret a joué dans tous les registres, pupitre ou soliste, tendance mainstream ou troisième courant, au théâtre ou en scène, avec des musiciens du monde entier, mais aussi et avant tout au sein du Bocal, collectif pour lequel il participera à trois albums. Tous ceux-là se retrouvent dans ce premier album, qui trace un sillon singulier et ouvre de nouvelles perspectives. Ce que redit, jusque dans son appellation, le second volet de ses aventures, en 2014 : Open Me, précédé par un Doors EP.
Nouvel album Solo « Free ». Dans l’histoire du jazz l’adjectif a ouvert les horizons esthétiques, libéré les énergies artistiques. Gratuit, libre, à chacun sa définition. Ornette Coleman l’a dit en son temps, et depuis 1960 être free en jazz, c’est aussi être sujet à quelques malentendus.
En choisissant ce qualificatif pour son nouvel album, Guillaume Perret augure de futurs débats sur la nature même de son jazz. « Conçu comme une musique de film, Free se veut un parcours libre au travers de différents paysages, différentes émotions. », prévient le saxophoniste, qui souhaite tomber le masque, pour en revenir à l’essence de ce qui fonde sa singularité. « J’ai dû lâcher certains miroirs flatteurs qui étaient plutôt des miroirs aux alouettes, non sans difficulté, mais au final j’ai pu avancer sur des bases de vie plus saines… Je n’ai plus besoin de séduire pour me sentir en confiance et je me sens davantage libre. »
Pour bien entendre ce tournant en solitaire, comme un temps nécessaire pour qui tout est allé d’un coup très vite, il faut revenir en arrière.
Libre. Plus qu’un titre, une déclaration d’intention : on avait salué l’esprit d’équipe, le son de groupe, et le voilà qui revient tout seul aux manettes. Comme une mise au point de tous ses subjectifs, comme un besoin de faire le point avant de regarder plus loin. Il fallait oser ce saut en solo, sans filets (les complices sur lesquels on peut s’appuyer, rebondir, se reposer…), un plongeon dans l’océan des sons qui résonne comme une apnée vers les tréfonds de son imaginaire. « Cela me permet de laisser libre court à mes envies sur scène, et de manière immédiate, pouvoir être libre de changer le set en cours de concert suivant ce que je sens sur le moment, pouvoir modifier, faire évoluer tout plus rapidement, plus instinctivement. », insiste Guillaume Perret.
Fidèle à un état d’esprit Do It Yourself, il traduit sur sillon ce qu’il a déjà testé maintes fois par le passé.
« La plupart de mes compositions naissent d’une forme solo. De par l’électrification de mon saxophone et les dispositifs d’effets que j’utilise en live je peux couvrir toutes les fréquences et ainsi remplir tous les rôles des instruments de l’orchestre. De fait, je peux utiliser mon saxophone comme une percussion, grosse caisse, caisse claire, mais aussi basse, guitare, synthé, chœur… Il en ressort des mélodies et des rythmiques improbables, puisque les instruments de départ ne sont pas normaux. Dans cette version solo je souhaite livrer au public cette matière première, brute de décoffrage. »
Pour preuves, il a enregistré, édité et mixé en 9 jours, là où il avait peaufiné 9 mois durant la post-production de son premier album.
« Je m’étais donné ce challenge. Avec mon ingé son, Hoover Lee, nous avons vécu une période intense, à travailler 23 h par jour avec un repas quotidien. » Il en ressort une intensité palpable dès les premières notes de « Birth of Aphrodite », thème qui renvoie au tableau de Botticelli selon son auteur, sevré de mythes et mythologies. « On est dans l’eau, le ressac ondule et un chant se fait entendre au loin. La déesse naît de l’écume ! » L’allégorie fait sens avec cette bande-son, au diapason de ce musicien « mutant ».
Pour ce solo, le saxophoniste qui n’a jamais caché son goût pour l’hybride choisit donc de se démultiplier. Sur l’instrument, bien entendu, grâce au dispositif mis en place, il occupe tous les rôles. Mais aussi au fil des pistes, où il varie les plaisirs : plages minimales, irruptions balkaniques, tentations électroniques, pause mélancolique, rebonds plus denses, pas décalés vers la piste de danse… Guillaume Perret explore le son, le sien qu’il distord à tel point que l’on peut croire que tout ceci tient de la programmation. Il n’en est rien : tout est joué en temps réel !
« Je n’ai fait qu’une prise par morceau, en prenant le temps de jouer de longues versions. Une fois que toute la matière était enregistrée en one shot, je récupérais les pistes et j’affinais l’arrangement, mais aucun effet n’a été appliqué en post production. »
Au fur et à mesure que se déploie chaque titre, il empile les couches à l’aide de ses loopers sur une seule et même piste, qu’il va ensuite découper pour reconstruire une suite thématique, dont les multiples facettes renvoient tout autant à cette personnalité hors norme qu’à la singularité de la méthode. A l’aide de son seul saxophone traité, Guillaume Perret recrée des sections d’orchestre ou des prod electro, un drive de batterie ou la suspension d’une basse…
Au final, toujours seul à bord, il aborde une grande variété de registres : de l’electro rauque (la puissante « Heavy Dance », zébrée d’électricité et de rais classiques) au bon vieux swing chaloupé ( « She’s Got Rhythm », dans une ambiance typique jungle), de paysages plutôt bien dark (l’intense « Inside Song » ; « Inner Jail » habité de son cri intérieur) à de lumineuses ouvertures (« En Good », boosté par l’énergie irradiante de son fils à qui il dédie une autre composition, « Susu » ; « Cosmonaut », en fait sa vision du chant des étoiles)…
En creux, cet assemblage hérétique dessine les contours d’une improbable histoire de jazz. Guillaume Perret en donne une relecture toute personnelle, composée des multiples échos qui résonnent dans son jeu et reflètent les nombreux fragments de sa polymorphe identité.
« Le jazz a de nombreuses couleurs, et ne saurait se limiter à un style en particulier. C’est un grand bac à sable ou tout est possible. »
Le saxophoniste y puise la matière pour façonner une bande originale, tout à la fois synthétique et organique. Il nous invite à cheminer dans les plis et replis de sa pensée…
D’ailleurs, pour en mesurer toute la portée, fermez les yeux et ouvrez grand les oreilles.